1889-2014 : UN COLLEGE, UNE HISTOIRE
En 2014-2015, une équipe d’élèves engagés dans le journal du collège (version numérique et vidéo) a voulu mener une enquête sur l’histoire du Collège Foch, inauguré 75 ans plus tôt. L’enquête s’est déroulée en deux temps. Tout d’abord, une visite aux archives a permis d’interviewer M. Benoît Jordan, Conservateur en chef du patrimoine aux Archives de Strasbourg. Il a évoqué l’architecture du collège et l’histoire de sa construction au sein de l’ensemble urbanistique de la Neustadt, cette ville nouvelle construite pendant la période allemande entre 1880 et la première guerre mondiale. A partir de cette interview un film a été réalisé, présentant des documents d’archive et les espaces du collège.
M. Meyer qui a été élève au Collège avant et pendant la seconde guerre mondiale a ensuite évoqué cette période troublée. Annexée par l’Allemagne, l’Alsace fait alors l’objet d’une politique de nazification. Les jeunes en subissent aussi les conséquences.
Une enquête aux archives municipales (vidéo)
Rencontre avec Benoît Jordan, conservateur
Notre collège à l’heure de la nazification
Rencontre avec un ancien élève du « Lycée Bismarck »
Pendant l’annexion de l’Alsace, entre 1940 et 1945, la germanisation s’applique aussi à l’enseignement. M. Meyer, qui a été scolarisé dans notre établissement, rebaptisé Bismarckschule, se souvient d’une scolarité placée sous le signe de la violence et de l’endoctrinement au service du parti nazi.
Rencontre avec Elvina au CDI du collège.
Une germanisation forcée
« La rentrée d’octobre 1940 a été absolument dramatique. D’abord, nous ne savions pas parler allemand. Ni l’allemand, ni le dialecte alsacien, pour ma part… Je comprenais un peu, c’était tout. Alors, pendant six semaines avant la rentrée, pour que je ne sois pas totalement muet en classe, mes parents m’ont fait donner des cours particuliers d’allemand par une professeure, chez qui je me rendais en ville.
Cela ne m’a pas empêché d’obtenir de très mauvaises notes, dans toutes les disciplines. Les professeurs allemands écrivaient dans les bulletins que je ne participais pas aux cours, que je ne comprenais rien ! Ce n’était pas le cas. Simplement, je n’osais pas parler et montrer à quel point j’étais mauvais en allemand.
Ensuite, ici-même, au Lycée Bismarck (Bismarckschule), nous avions pour professeur un officier, qui s’appelait Hert. C’était un ancien de la Waffen SS qui avait fait la campagne de Pologne dans des conditions horribles. Quand un élève n’arrivait pas à s’exprimer, il disait : « Ah ! ah ! encore un de ces franchouillards ! vous parlez le français à la maison ! » Un grand crime ! C’était vraiment très dangereux de laisser transparaître en quoi que ce soit une opinion nationale ou une opinion politique. »
Des programmes orientés par l’idéologie nazie
« Les programmes étaient assez curieux, différents de l’enseignement français.
L’histoire qui nous était enseignée était parfaitement tendancieuse. Elle avait été réécrite en fonction de l’idéologie nazie. Le français avait été complètement supprimé. Notre seule langue étrangère était l’anglais. En effet, les Allemands pensaient gagner la guerre. Et une fois l’Angleterre envahie, on aurait eu besoin de l’anglais pour mettre sa population à genoux…
Nous faisions beaucoup de physique, de chimie et de sciences naturelles et même du latin. A notre grande surprise, il fallait apprendre par cœur les vocables : aucun document n’était permis lors des thèmes et des versions.
« Nous étions franchement mauvais en littérature allemande, même si connaissions quelques auteurs allemands, le théâtre de Schiller ou de Goethe… Pas de littérature française. Heureusement, mon père possédait une bibliothèque bien garnie et j’ai lu pendant ces quatre années une bonne partie de ce qu’on lisait à l’époque et plus encore : Molière, Voltaire et jusqu’aux auteurs récents.
Évidemment, l’éducation sportive occupait une place importante. C’étaient des exercices paramilitaires, tels qu’on les faisait subir aux recrues dans les cours des casernes avec des sauts d’obstacles, des parcours de combat etc. »
Endoctrinement et châtiments corporels
« Pour pouvoir suivre l’enseignement dispensé à la Bismarckschule, il fallait obligatoirement s’inscrire aux jeunesses hitlériennes, dont le secrétariat se trouvait rue Grandidier, près de l’université de Strasbourg. Ainsi, dans le cadre de ces mouvements de jeunesse, le jeudi après-midi,
.
nous rendions-nous au lycée. Des exercices avaient lieu dans la cour : on marchait, on chantait. Et nous suivions dans les salles de classe des cours de préparation militaire ou politique. Les élèves qui n’étaient pas inscrits aux jeunesses hitlériennes ou chez les « PIMF » [jeunes scouts], étaient exclus des cours. Entre les mouvements de jeunesse et l’enseignement, la dépendance était totale.
Les punitions étaient beaucoup plus arbitraires qu’avant l’annexion et elles étaient même physiques. Je me rappelle qu’on m’a tapé sur les mains. Il fallait présenter les mains ouvertes et le professeur vous tapait avec une règle à l’intérieur, ça faisait mal ! J’ai dit au professeur qui voulait me faire ce coup-là, « Monsieur, je joue du piano » – ce qui était vrai – il s’en fichait. Paf ! Pendant quelques jours, je fus absolument incapable de toucher un piano, j’avais vraiment les tendons qui faisaient mal.
Un jour, je me suis accroché avec le directeur, à propos d’éducation, de dessin. Il s’appelait Hiss et portait un uniforme jaune canari. Son bureau se trouvait quelque part, près d’ici [au 2e étage du bâtiment principal du collège actuel]
Un jour, je me suis accroché avec le directeur, à propos d’éducation, de dessin. Il s’appelait Hiss et portait un uniforme jaune canari. Son bureau se trouvait quelque part, près d’ici [au 2e étage du bâtiment principal du collège actuel]. Il prétendait que je ne faisais rien et j’ai contesté. Il a considéré que j’avais un ton agressif. Pour cela, il a fait un courrier à mon père et m’a condamné à trois heures de cachot. Un des vestiaires de la salle de gymnastique était une pièce aveugle. On y était enfermés deux ou trois heures, dans le noir. »
Du climat de guerre à la libération
« C’était une période très désagréable, ponctuée par les alertes, les coups de sirène.
Lorsqu’on entendait la sirène, tout le bâtiment se vidait et on se retrouvait tous en bas, dans la cave. Des élèves, équipés de casques de pompier et de masques à gaz réglementaires, avaient été formés pour lutter contre l’incendie. Nous disposions d’un seau de sable pour éteindre certains feux rebelles et d’une pompe à eau. Un d’entre nous maniait un genre de manche à balai avec au bout des chiffons mouillés, pour pouvoir éteindre les particules de phosphore qui sortaient des bombes incendiaires.
Nous avons été entraînés dans des fortins, derrière la caserne Stirn, près de l’actuel lycée Kléber. Nous avons dû entrer dans des casemates, enfumées par des bombes incendiaires attisées avec de la paille. Il fallait éteindre ça ! C’était absolument horrible, on n’y voyait rien !
Nous étions considérés comme des pompiers auxiliaires, capables de rendre service dans nos immeubles ou dans nos maisons. A Strasbourg, sur chaque palier, devant chaque porte, il y avait un seau de sable, un seau d’eau, une pompe : c’était la défense passive.
Dans les tous derniers jours de la guerre, lorsque la division Leclerc est arrivée et que nous l’avons su, des élèves s’en sont pris à certains professeurs allemands qu’ils ont enfermés dans les toilettes en bas. Dès que l’occasion s’est présentée, ils ont voulu livrer aux soldats français de la division Leclerc leurs « Allemands ». Les soldats s’attendaient à voir des gens en uniforme : ils ont trouvé, en piteux état, des professeurs qui avaient été faits prisonniers par les élèves.
Il faut dire que ce n’étaient pas de bons élèves qui avaient fait le coup. C’étaient de fortes têtes. Mais, ce jour-là, c’était pour la bonne cause. »
Propos recueillis par Elvina en 2015.